« Chacun doit commencer par le Maïdan du cœur. Par soi-même. Il devient alors possible de s’organiser en groupe, en association. Il faut commencer par le local. C’est en cela que la jeunesse se présente comme l’acteur majeur du changement. Si on prend le temps d’analyser les choses, elles deviennent plutôt claires, plutôt évidentes, mais l’histoire démontre que ce n’est pas comme cela que les choses se déroulent.
Maïdan est la conscience de l’Ukraine. »
Conférence du 13-01-2014
Père Michel Dymyd
à CROIX à la MAISON DES JEUNES
Rencontre avec les étudiants de l'EDHEC
et les membres de l'Association Ukrainienne Région Nord Pas de Calais.
Retranscription :
« Le slogan
« Je suis Charlie » est un slogan qu’il est important de prendre au
sérieux car il incarne la défense contre l’extrémisme. L’un des extrémismes
auquel est confronté le monde aujourd’hui est l’extrémisme
« post-soviétique » que l’Ukraine affronte en ce moment. Il s’agit de
l’extrémisme de ces personnes qui ont la nostalgie du grand empire de la Russie
soviétique. Ce danger est présent partout dans le monde. Il y a encore dans le
monde des guerres, des guerres non déclarées, des guerres indirectes, des
guerres sournoises.
J’ai passé 3 mois sur
le Maïdan de Kiev pour militer en faveur de la Révolution de la dignité. Je me
trouvais dans une tente qui tenait lieu de chapelle et tentais de transmettre
une vision globale de cette révolution : voir le positif en l’adversaire,
ne pas combattre la personne mais le mal. Or le mal peut se trouver dans notre
propre cœur. Il faut donc combattre le mal en soi avant de combattre celui de
l’adversaire. Ma fille aînée Clémentine est l’administratrice d’un groupe
VKontakte comptant aujourd’hui 640 000 adhérents. Pendant la Révolution, elle
prenait des photos sur son IPhone et les
publiait sur ce groupe en les accompagnant de commentaires. Mon livre est
composé de ses photos et commentaires et de mes textes.
Cette Révolution n’était
pas un mouvement contre quelqu’un, contre Ianoukovitch ou Poutine, mais un
mouvement pour la dignité du peuple Ukrainien. L’homme est crée à l’image de
Dieu, il est donc né libre. Nous nous devons de créer et de défendre notre liberté
au quotidien. La liberté n’est pas innée, elle s’acquiert par un combat de tous
les jours.
Ce sont les étudiants
de l’université Mohyla de Kiev et de l’université catholique de Lviv qui sont à
l’origine de ce mouvement. Cette initiative, cette expression de liberté, on a
voulu la briser en tirant sur les étudiants. La réponse violente du
gouvernement et le meurtre de ces étudiants a provoqué un choc comparable à
celui de l’attaque de Charlie Hebdo. Il s’agit de l’événement déclencheur de ce
gigantesque mouvement. En réponse à la violence perpétrée par la police, le
peuple s’est rassemblé derrière cette idée : la défense de la liberté. Mais
le gouvernement a utilisé d’autres moyens de déstabilisation (annexion de la Crimée,
guerre du Donbass) afin de refreiner la liberté. La guerre du Donbass n’est pas
une guerre déclarée mais une guerre hybride. Cette guerre touche chaque
famille. Il y a des volontaires dans chaque famille.
En Ukraine la
politique des gouvernements précédents était une politique anti-ukrainienne :
le but était d’aboutir à l’extinction de l’Etat ukrainien pour le réintégrer à
la réalité Russe. Cependant, le Maïdan et la guerre non-déclarée avec la Russie
ont engendré un esprit patriotique en Ukraine, ce qui n’existait pas auparavant.
Jusque-là, le patriotisme s’exprimait par le folklore ou les lettres. Il
n’existait aucune organisation d’Etat pour porter les couleurs de l’Ukraine,
aucun « esprit ukrainien ». En ce moment en revanche, on sent que
l’Etats prend une coloration ukrainienne qui s’exprime par une ouverture
vers l’Ouest et non plus seulement vers la Russie en tant que « semi-colonie ».
Cette ouverture de
l’esprit se traduit par le désir d’intégrer d’autres systèmes d’Etat, de société,
dans la pratique et non plus seulement dans la théorie.
On peut distinguer un
autre mouvement simultané : la prise de conscience du rôle essentiel des
associations locales. Deux associations ont joué un rôle prépondérant pendant
la révolution : les supporters de foot et les chauffeurs. Ces derniers ont
par exemple bloqué certaines routes durant le dernier jour de Ianoukovitch et
ont organisé une colonne pour se rendre jusque dans le village où se trouve sa
résidence. Les supporters de foot quant à eux se sont tous réunis pour la
liberté d’expression. Ils manifestent par milliers, la police est impuissante
face à cette masse. Ils ont poussé cette idée de liberté d’expression. D’où la
nécessité d’aider les Ukrainiens à créer des associations afin de leur apprendre
à défendre leurs droits. La vie associative est une base pour la démocratie.
Le Maïdan a apporté
une solidarité très forte entre croyants; entre croyants et non croyants. Il
existe d’ordinaire une forte rivalité entre les Eglises en Ukraine. Certaines
représentent encore des régimes d’antan mais sur le Maïdan, toute rivalité a
disparu et tout le monde priait ensemble. Il s’agit d’une promesse pour le
futur. »
Questions :
Question :
« A-t-on remporté la victoire ou
pas ? Est-ce que les gens ont encore l’envie et la force de continuer
le mouvement ? »
« Il est
important de comprendre la notion de « Maïdan du cœur » : si tu
n’es pas prêt à te remettre en question toi-même, ton action sera vaine. Chaque
participant ou sympathisant du Maïdan se pose la même question :
« Comment faire pour vivre mieux ? »
Il est inutile de
trouver un bénéfice direct dans ce message ou des milliers d’adhérents. Il
suffit que seulement quelques personnes
comprennent ce message. Elles pourront alors créer des associations et tracer
de nouvelles voies. Malheureusement le peuple ukrainien est un peuple
« d’esclaves » au sens où l’Ukraine a toujours été un pays gouverné
par d’autres puissances et non par lui-même. Il existe des personnes qui n’ont
d’autre ambition que d’être assistées. En Ukraine des millions d’individus ont
cette façon de pensée. Si on trace une autre voie et que des personnes y adhèrent,
on peut changer les choses : conquérir sa liberté, prendre conscience que
la facilité n’est qu’une façade.
Maïdan a apporté cette
impulsion. »
Question :
« Est-ce que cette impulsion est
assez forte pour pousser les gens à aller jusqu’au bout ? »
« Oui. Mais par
étapes. Cela peut être long car cela passe par la rééducation personnelle de
chaque personne. C’est ce qui s’est passé à Maïdan : aujourd’hui les gens
n’ont plus peur de dire « non », de descendre dans la rue, de
s’exprimer. On ne peut pas espérer un miracle. Les gens attendent des miracles,
mais ils ne veulent pas se changer eux-mêmes. »
Question :
« Est-ce que aujourd’hui vous pensez
que la jeunesse Ukrainienne peut toujours être l’élément déclencheur de la
fondation d’une nouvelle société malgré le contexte actuel (crise économique et
guerre) ? »
« Oui. Les
étudiants seront en première ligne. Ils sont pauvres mais ils sont libres.
Lorsque l’on commence à se poser, à avoir une famille, on commence à avoir des
intérêts, des freins. C’est cela qui est dangereux. Les étudiants ne
recherchent pas la garantie, ils sont ouverts à toute perspective, ils ne
perdent rien.
La Maïdan a permis
d’ouvrir l’esprit des étudiants vers l’Ouest, mais aussi vers l’Est (vers l’Ukraine
orientale, vers Moscou etc.). Sur le Maïdan, la langue la plus parlée était le
Russe. Cela a démontré que être Ukrainien, ce n’est pas parler ukrainien. On
peut parler russe et être compatriote ukrainien. Cela n’était pas vraiment possible
avant Maïdan. Maintenant on peut être Ukrainien et être russophone. »
Question :
« Croyez-vous qu’entre l’Est et
l’Ouest ukrainien il n’y aura pas de rancunes par rapport aux
évènements ? A l’Est il y a une rancune envers les gens de l’Ouest
identifiés comme ceux qui auraient déclenché la guerre. Est-il possible de
retrouver ce lien entre Est et Ouest ? »
« A Lviv, sur le
marché de l’immobilier, les propriétaires demandent aux potentiels locataires
s’ils viennent du Donbass. Dans ce cas ils refusent généralement de louer. Il
existe ce type d’expérience négative mais il y a également des initiatives
positives comme la création à Lviv d’une association des réfugiés du
Donbass. Il existe donc des personnes qui s’intègrent et une minorité de
prorusses qui revendiquent cette identité russophile. La russophilie devrait
être positive mais elle s’exprime contre l’Ukraine dans un déni de l’histoire.
La façon dont
Porochenko gère la crise me paraît efficace. Il prône le dialogue et les
pourparlers avec divers groupes. Il fait montre d’un réel esprit d’ouverture.
Il s’agit de rechercher des bases communes. Ce qui est arrivé en Crimée et à Donetsk
est en premier lieu la faute de l’Etat ukrainien (même si la Russie l’a
commandité d’une certaine façon) car la un nombre important de la population
des lieux se voyait plutôt en Russie qu’en Ukraine. Elle ne se sentait pas
ukrainienne. »
Question :
« Les élections qui ont eu lieu dans
le Donbass ont-elle été truquées ? »
« Oui.
Totalement. Ma fille Clémentine était en Crimée lors du référendum et a
constaté les actes de trucage. La propagande était très convaincante, il
s’agissait d’un véritable lavage de cerveau. La désinformation est une arme
très puissante et l’Ukraine n’a rien fait contre la désinformation dans ces
régions. »
Question :
« Dans ce discours de
désinformation, on entend dire que l’Ukraine est la petite Russie, la base de
tout, une province de la Russie. Même si on sait que c’est faux, on a du mal à
trouver des arguments à opposer à ce discours ».
« Historiquement,
l’Ukraine et la Moscovie n’ont rien à voir. L’Ukraine n’a rien à voir avec la
Russ’ de Kiev, ce sont deux entités différentes. Il existe des liens culturels,
sans plus. On pourrait appliquer ce discours à la Pologne et l’Ukraine,
pourtant, à part quelques nationalistes extrêmes, ce discours n’existe pas en
Pologne. L’Ukraine est un pays
riche : il existe une culture ukrainienne, latine, polonaise, russe, roumaine
etc. Cela devrait encourager la polyphonie, mais cela ne fait qu’animer les
conflits.
Il y a trois types de
défis à relever aujourd’hui : l’extrémisme, les Etats qui ne respectent
pas les frontières (comme la Russie ou la Chine) et les pays ou les lieux où il
n’y a plus d’Etat. »
Question :
« On a commencé à parler de risque
de guerre mondial. Est-ce que ce risque s’éloigne ? Y a-t-il un
risque que l’Ukraine demeure l’otage de superpuissances ? »
« La troisième
guerre mondiale ne viendra pas de l’Ukraine. Que veut Poutine ? Il
aimerait le renouvellement de l’empire soviétique. S’il tente d’assouvir son
ambition, il se heurtera aux intérêts de l’Otan et c’est de là que naîtrait le
conflit. »
Question :
« Selon la situation économique de
la Russie, Poutine ne peut plus avoir la même ambition ? »
« On ne peut
penser la Russie avec notre logique occidentale. Les Russes n’ont pas les mêmes
limites. Pensez à la débâcle de l’armée allemande lors de la Seconde Guerre
mondiale. Mais Poutine a d’autres cartes à jouer que l’argument économique.
En Russie, le score de popularité de Poutine au niveau des sondages reste
élevé. Il y a une forte identification nationaliste. Poutine a énormément de
marionnettes. »
Conclusion :
« Chacun doit
commencer par le Maïdan du cœur. Par soi-même. Il devient alors possible de
s’organiser en groupe, en association. Il faut commencer par le local. C’est en
cela que la jeunesse se présente comme l’acteur majeur du changement. Si on
prend le temps d’analyser les choses, elles deviennent plutôt claires, plutôt
évidentes, mais l’histoire démontre que ce n’est pas comme cela que les choses
se déroulent.
Maïdan est la
conscience de l’Ukraine. »
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