19.01.15

Les pavés du Maïdan et le coeur de l'homme


« Chacun doit commencer par le Maïdan du cœur. Par soi-même. Il devient alors possible de s’organiser en groupe, en association. Il faut commencer par le local. C’est en cela que la jeunesse se présente comme l’acteur majeur du changement. Si on prend le temps d’analyser les choses, elles deviennent plutôt claires, plutôt évidentes, mais l’histoire démontre que ce n’est pas comme cela que les choses se déroulent.

Maïdan est la conscience de l’Ukraine. »





Conférence du 13-01-2014
Père Michel Dymyd
à CROIX à la MAISON DES JEUNES
Rencontre avec les étudiants de l'EDHEC
et les membres de l'Association Ukrainienne Région Nord Pas de Calais.



Retranscription :

« Le slogan « Je suis Charlie » est un slogan qu’il est important de prendre au sérieux car il incarne la défense contre l’extrémisme. L’un des extrémismes auquel est confronté le monde aujourd’hui est l’extrémisme « post-soviétique » que l’Ukraine affronte en ce moment. Il s’agit de l’extrémisme de ces personnes qui ont la nostalgie du grand empire de la Russie soviétique. Ce danger est présent partout dans le monde. Il y a encore dans le monde des guerres, des guerres non déclarées, des guerres indirectes, des guerres sournoises.

J’ai passé 3 mois sur le Maïdan de Kiev pour militer en faveur de la Révolution de la dignité. Je me trouvais dans une tente qui tenait lieu de chapelle et tentais de transmettre une vision globale de cette révolution : voir le positif en l’adversaire, ne pas combattre la personne mais le mal. Or le mal peut se trouver dans notre propre cœur. Il faut donc combattre le mal en soi avant de combattre celui de l’adversaire. Ma fille aînée Clémentine est l’administratrice d’un groupe VKontakte comptant aujourd’hui 640 000 adhérents. Pendant la Révolution, elle prenait  des photos sur son IPhone et les publiait sur ce groupe en les accompagnant de commentaires. Mon livre est composé de ses photos et commentaires et de mes textes.

Cette Révolution n’était pas un mouvement contre quelqu’un, contre Ianoukovitch ou Poutine, mais un mouvement pour la dignité du peuple Ukrainien. L’homme est crée à l’image de Dieu, il est donc né libre. Nous nous devons de créer et de défendre notre liberté au quotidien. La liberté n’est pas innée, elle s’acquiert par un combat de tous les jours.

Ce sont les étudiants de l’université Mohyla de Kiev et de l’université catholique de Lviv qui sont à l’origine de ce mouvement. Cette initiative, cette expression de liberté, on a voulu la briser en tirant sur les étudiants. La réponse violente du gouvernement et le meurtre de ces étudiants a provoqué un choc comparable à celui de l’attaque de Charlie Hebdo. Il s’agit de l’événement déclencheur de ce gigantesque mouvement. En réponse à la violence perpétrée par la police, le peuple s’est rassemblé derrière cette idée : la défense de la liberté. Mais le gouvernement a utilisé d’autres moyens de déstabilisation (annexion de la Crimée, guerre du Donbass) afin de refreiner la liberté. La guerre du Donbass n’est pas une guerre déclarée mais une guerre hybride. Cette guerre touche chaque famille. Il y a des volontaires dans chaque famille.

En Ukraine la politique des gouvernements précédents était une politique anti-ukrainienne : le but était d’aboutir à l’extinction de l’Etat ukrainien pour le réintégrer à la réalité Russe. Cependant, le Maïdan et la guerre non-déclarée avec la Russie ont engendré un esprit patriotique en Ukraine, ce qui n’existait pas auparavant. Jusque-là, le patriotisme s’exprimait par le folklore ou les lettres. Il n’existait aucune organisation d’Etat pour porter les couleurs de l’Ukraine, aucun « esprit ukrainien ». En ce moment en revanche, on sent que l’Etats prend une  coloration  ukrainienne qui s’exprime par une ouverture vers l’Ouest et non plus seulement vers la Russie en tant que « semi-colonie ».

Cette ouverture de l’esprit se traduit par le désir d’intégrer d’autres systèmes d’Etat, de société, dans la pratique et non plus seulement dans la théorie.

On peut distinguer un autre mouvement simultané : la prise de conscience du rôle essentiel des associations locales. Deux associations ont joué un rôle prépondérant pendant la révolution : les supporters de foot et les chauffeurs. Ces derniers ont par exemple bloqué certaines routes durant le dernier jour de Ianoukovitch et ont organisé une colonne pour se rendre jusque dans le village où se trouve sa résidence. Les supporters de foot quant à eux se sont tous réunis pour la liberté d’expression. Ils manifestent par milliers, la police est impuissante face à cette masse. Ils ont poussé cette idée de liberté d’expression. D’où la nécessité d’aider les Ukrainiens à créer des associations afin de leur apprendre à défendre leurs droits. La vie associative est une base pour la démocratie.

Le Maïdan a apporté une solidarité très forte entre croyants; entre croyants et non croyants. Il existe d’ordinaire une forte rivalité entre les Eglises en Ukraine. Certaines représentent encore des régimes d’antan mais sur le Maïdan, toute rivalité a disparu et tout le monde priait ensemble. Il s’agit d’une promesse pour le futur. »


 

Questions :


Question : « A-t-on remporté la victoire ou pas ? Est-ce que les gens ont encore l’envie et la force de continuer le mouvement ? »

« Il est important de comprendre la notion de « Maïdan du cœur » : si tu n’es pas prêt à te remettre en question toi-même, ton action sera vaine. Chaque participant ou sympathisant du Maïdan se pose la même question : « Comment faire pour vivre mieux ? »

Il est inutile de trouver un bénéfice direct dans ce message ou des milliers d’adhérents. Il suffit que  seulement quelques personnes comprennent ce message. Elles pourront alors créer des associations et tracer de nouvelles voies. Malheureusement le peuple ukrainien est un peuple « d’esclaves » au sens où l’Ukraine a toujours été un pays gouverné par d’autres puissances et non par lui-même. Il existe des personnes qui n’ont d’autre ambition que d’être assistées. En Ukraine des millions d’individus ont cette façon de pensée. Si on trace une autre voie et que des personnes y adhèrent, on peut changer les choses : conquérir sa liberté, prendre conscience que la facilité n’est qu’une façade.
Maïdan a apporté cette impulsion. »


Question : « Est-ce que cette impulsion est assez forte pour pousser les gens à aller jusqu’au bout ? »

« Oui. Mais par étapes. Cela peut être long car cela passe par la rééducation personnelle de chaque personne. C’est ce qui s’est passé à Maïdan : aujourd’hui les gens n’ont plus peur de dire « non », de descendre dans la rue, de s’exprimer. On ne peut pas espérer un miracle. Les gens attendent des miracles, mais ils ne veulent pas se changer eux-mêmes. »





Question : « Est-ce que aujourd’hui vous pensez que la jeunesse Ukrainienne peut toujours être l’élément déclencheur de la fondation d’une nouvelle société malgré le contexte actuel (crise économique et guerre) ? »

« Oui. Les étudiants seront en première ligne. Ils sont pauvres mais ils sont libres. Lorsque l’on commence à se poser, à avoir une famille, on commence à avoir des intérêts, des freins. C’est cela qui est dangereux. Les étudiants ne recherchent pas la garantie, ils sont ouverts à toute perspective, ils ne perdent rien.

La Maïdan a permis d’ouvrir l’esprit des étudiants vers l’Ouest, mais aussi vers l’Est (vers l’Ukraine orientale, vers Moscou etc.). Sur le Maïdan, la langue la plus parlée était le Russe. Cela a démontré que être Ukrainien, ce n’est pas parler ukrainien. On peut parler russe et être compatriote ukrainien. Cela n’était pas vraiment possible avant Maïdan. Maintenant on peut être Ukrainien et être russophone. »


Question : « Croyez-vous qu’entre l’Est et l’Ouest ukrainien il n’y aura pas de rancunes par rapport aux évènements ? A l’Est il y a une rancune envers les gens de l’Ouest identifiés comme ceux qui auraient déclenché la guerre. Est-il possible de retrouver ce lien entre Est et Ouest ? »

« A Lviv, sur le marché de l’immobilier, les propriétaires demandent aux potentiels locataires s’ils viennent du Donbass. Dans ce cas ils refusent généralement de louer. Il existe ce type d’expérience négative mais il y a également des initiatives positives comme la création à Lviv d’une association des réfugiés du Donbass. Il existe donc des personnes qui s’intègrent et une minorité de prorusses qui revendiquent cette identité russophile. La russophilie devrait être positive mais elle s’exprime contre l’Ukraine dans un déni de l’histoire.

La façon dont Porochenko gère la crise me paraît efficace. Il prône le dialogue et les pourparlers avec divers groupes. Il fait montre d’un réel esprit d’ouverture. Il s’agit de rechercher des bases communes. Ce qui est arrivé en Crimée et à Donetsk est en premier lieu la faute de l’Etat ukrainien (même si la Russie l’a commandité d’une certaine façon) car la un nombre important de la population des lieux se voyait plutôt en Russie qu’en Ukraine. Elle ne se sentait pas ukrainienne. »


Question : « Les élections qui ont eu lieu dans le Donbass ont-elle été truquées ? »

« Oui. Totalement. Ma fille Clémentine était en Crimée lors du référendum et a constaté les actes de trucage. La propagande était très convaincante, il s’agissait d’un véritable lavage de cerveau. La désinformation est une arme très puissante et l’Ukraine n’a rien fait contre la désinformation dans ces régions. »





Question : « Dans ce discours de désinformation, on entend dire que l’Ukraine est la petite Russie, la base de tout, une province de la Russie. Même si on sait que c’est faux, on a du mal à trouver des arguments à opposer à ce discours ».

« Historiquement, l’Ukraine et la Moscovie n’ont rien à voir. L’Ukraine n’a rien à voir avec la Russ’ de Kiev, ce sont deux entités différentes. Il existe des liens culturels, sans plus. On pourrait appliquer ce discours à la Pologne et l’Ukraine, pourtant, à part quelques nationalistes extrêmes, ce discours n’existe pas en Pologne.  L’Ukraine est un pays riche : il existe une culture ukrainienne, latine, polonaise, russe, roumaine etc. Cela devrait encourager la polyphonie, mais cela ne fait qu’animer les conflits.

Il y a trois types de défis à relever aujourd’hui : l’extrémisme, les Etats qui ne respectent pas les frontières (comme la Russie ou la Chine) et les pays ou les lieux où il n’y a plus d’Etat. »


Question : « On a commencé à parler de risque de guerre mondial. Est-ce que ce risque s’éloigne ? Y a-t-il un risque que l’Ukraine demeure l’otage de superpuissances ? »

« La troisième guerre mondiale ne viendra pas de l’Ukraine. Que veut Poutine ? Il aimerait le renouvellement de l’empire soviétique. S’il tente d’assouvir son ambition, il se heurtera aux intérêts de l’Otan et c’est de là que naîtrait le conflit. »


Question : « Selon la situation économique de la Russie, Poutine ne peut plus avoir la même ambition ? »

« On ne peut penser la Russie avec notre logique occidentale. Les Russes n’ont pas les mêmes limites. Pensez à la débâcle de l’armée allemande lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais Poutine a d’autres cartes à jouer que l’argument économique. En Russie, le score de popularité de Poutine au niveau des sondages reste élevé. Il y a une forte identification nationaliste. Poutine a énormément de marionnettes. »



Conclusion :

« Chacun doit commencer par le Maïdan du cœur. Par soi-même. Il devient alors possible de s’organiser en groupe, en association. Il faut commencer par le local. C’est en cela que la jeunesse se présente comme l’acteur majeur du changement. Si on prend le temps d’analyser les choses, elles deviennent plutôt claires, plutôt évidentes, mais l’histoire démontre que ce n’est pas comme cela que les choses se déroulent.

Maïdan est la conscience de l’Ukraine. »



 


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